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comme si, dans le papotage des conversations, sous l’étourdissement du copieux déjeuner, la préoccupation, la détresse de chacun serrait de nouveau les cœurs, reparaissait sur les faces effarées. Et l’on vit renaître l’inconscience inquiète de Dutheil, menacé de délation, la colère anxieuse du baron, se demandant comment il allait pouvoir contenter Silviane. Cette fille était sa tare, à lui, si solide, si puissant, le mal secret qui finirait peut-être par le ronger et le détruire. Et l’on vit surtout passer l’affreux drame sur les visages de la baronne, de Camille et de Gérard, cette rivalité haineuse de la mère et de la fille, se disputant l’homme qu’elles aimaient. Les lames de vermeil pelaient délicatement les fruits, il y avait des grappes de raisin dorées, d’une admirable fraîcheur, et des sucreries, des gâteaux défilèrent, une infinité de friandises, où s’attardaient complaisamment les appétits repus.

Puis, comme on servait les rince-bouches, un valet vint se pencher à l’oreille de la baronne, qui répondit à demi-voix :

— Eh bien ! faites-le entrer au salon. Je vais l’y retrouver.

Et, plus haut, aux convives :

— C’est monsieur l’abbé Froment qui est là et qui insiste pour être reçu. Il ne nous gênera pas, je crois que vous le connaissez tous. Oh ! un véritable saint, pour lequel j’ai beaucoup de sympathie !

On s’oublia quelques minutes encore autour de la table, et l’on quitta enfin la salle à manger, tout odorante des mets, des vins, des fruits et des roses, toute chaude des grosses bûches qui étaient tombées en braise, dans la gaieté un peu en déroute des cristaux et de l’argenterie, sous le jour pâle et fin éclairant la débandade du couvert.

Au milieu du petit salon, bleu et argent, Pierre était