Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Marie, que, le matin encore, elle ignorait qu’elle aimât Pierre d’amour. Elle l’ignorait, et lui-même l’avait forcée à découvrir cet amour en elle. Il venait de le lui planter solidement au cœur, de l’y augmenter sans doute, en le lui révélant. Quelle misère et quelle souffrance ! être ainsi l’ouvrier du mal dont on agonise ! Maintenant, il avait une certitude, sa vie sentimentale était finie, tout son pauvre être tendre saignait et s’anéantissait. Mais, dans ce désastre, dans cette désolation de sentir son âge et la nécessité du renoncement, il éprouvait une joie amère d’avoir fait la vérité. C’était une consolation bien rude, bonne seulement pour une âme héroïque, et il y trouvait cependant un âpre réconfort, une sorte de satisfaction hautaine. Dès lors, la pensée du sacrifice le pénétra, s’imposa peu à peu avec une force extraordinaire. Il devait marier ses enfants, cela devint le devoir, la seule sagesse et la seule justice, même le seul bonheur certain de la maison. Quand son cœur révolté bondissait encore et criait d’angoisse, il posait ses deux mains vigoureuses sur sa poitrine, il l’étouffait.

Le lendemain, ce ne fut pas dans le jardin étroit, mais dans le vaste atelier, que Guillaume eut avec Pierre la suprême explication. Et, là encore, s’étendait l’horizon géant de Paris, toute une humanité en travail, la cuve énorme où fermentait le vin de l’avenir. Il s’était arrangé pour se trouver seul avec son frère, il l’attaqua dès l’entrée, allant droit au fait, sans aucune des précautions qu’il avait prises avec Marie.

— Pierre, n’as-tu pas quelque chose à me dire ? Pourquoi ne te confies-tu pas à moi ?

Tout de suite, ce dernier comprit, et il se mit à trembler, ne trouvant pas une parole, avouant par le désordre, par la supplication éperdue de son visage.

— Tu aimes Marie, pourquoi n’es-tu pas venu loyalement me dire cet amour ?