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dresse toute filiale. Rappelez-vous vos sentiments, à l’époque où fut arrêté notre mariage. Vous n’aimiez personne alors, vous avez accepté, en fille raisonnable, certaine que je vous rendrai heureuse, trouvant cette union juste et bonne… Et mon frère est venu, et l’amour est né naturellement, et c’est Pierre, Pierre seul que vous aimez d’amour, de l’amour qu’on doit avoir pour un amant, pour un époux.

À bout de résistance, bouleversée devant la clarté qui se faisait en elle, malgré sa volonté, elle s’obstinait à protester éperdument.

— Mais pourquoi vous débattez-vous ainsi, mon enfant ? Je ne vous fais aucun reproche. C’est moi qui ai voulu cette chose, en vieux fou que je suis. Ce qui devait être est arrivé, et il est bon sans doute que cela soit… Je ne voulais que savoir la vérité de vous, pour prendre une décision et agir en honnête homme.

Alors, elle fut vaincue, ses larmes jaillirent. Un tel déchirement s’était fait en son être, qu’elle se sentait brisée, terrassé, comme sous le poids d’une vérité nouvelle, ignorée jusque-là.

— Ah ! vous êtes méchant de m’avoir ainsi violentée, pour m’obliger à lire en moi. Je vous jure encore que je ne savais pas aimer Pierre de cet amour dont vous parlez. C’est vous qui venez de m’ouvrir le cœur, d’y souffler sur cette flamme qui sommeillait… Et c’est vrai, j’aime Pierre, je l’aime maintenant, comme vous dites. Et nous voilà tous affreusement malheureux, puisque vous l’avez voulu.

Elle sanglotait, et elle lui retira ses poignets, par un brusque sentiment de pudeur. Mais il remarquait qu’aucune rougeur ne lui avait empourpré les joues, ces rougeurs involontaires qui la contrariaient tant. C’était que sa loyauté de vierge ne se trouvait pas en cause, car elle n’avait en effet nulle trahison à se reprocher, lui seul la