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noires… C’est naturel, n’est-ce pas ? Je crois n’avoir fait que ce que vous désiriez, et je ne comprends pas en quoi mon affection pour Pierre peut influer sur notre mariage.

Ces paroles qui, d’après elle, auraient dû convaincre Guillaume, achevèrent de l’éclairer douloureusement, tant elle venait de mettre de flamme à se défendre d’aimer le jeune homme.

— Mais, malheureuse, malheureuse, vous vous trahissez sans le vouloir… Cela est bien certain, vous ne m’aimez pas, et c’est mon frère que vous aimez.

Il avait pris ses poignets nus, il les serrait avec une tendresse désespérée, comme pour la forcer à voir clair en elle. Et elle continuait à se débattre, la plus affectueuse et la plus tragique des luttes se prolongea entre eux, lui voulant la convaincre par l’évidence des faits, elle résistant, s’entêtant à ne pas ouvrir les yeux. Vainement, il reprit l’aventure depuis le premier jour, il lui expliqua ce qui s’était passé en elle, d’abord la sourde hostilité, puis la curiosité pour ce garçon extraordinaire, enfin la sympathie, la tendresse, quand elle l’avait vu si misérable, peu à peu guéri par elle de son angoisse. Ils étaient jeunes tous les deux, la bonne nature avait fait le reste. Mais, à chaque preuve, à chaque certitude nouvelle qu’il lui donnait, elle n’était envahie que d’un émoi croissant, un frisson qui la faisait trembler toute, sans vouloir consentir à s’interroger.

— Non, non, je ne l’aime pas… Si je l’aimais, je le saurais, je vous le dirais, car vous me connaissez, je suis incapable de mentir.

Il eut la cruauté d’insister, en chirurgien héroïque qui taille dans sa chair plus encore que dans celle des autres, pour que la vérité se fasse et que le salut de tous soit assuré.

— Marie, ce n’est pas moi que vous aimez. Vous n’avez pour moi que du respect, de la reconnaissance, une ten-