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voulez-vous que j’aie ? Je vous laisse le maître absolu de tout régler à votre désir.

Un silence se fit. Elle l’avait regardé loyalement en face ; mais un petit frémissement agitait ses lèvres, pendant qu’une tristesse ignorée semblait monter d’elle et noyer son visage, d’une clarté et d’une gaieté d’eau vive. Autrefois, n’aurait-elle pas ri et chanté, à l’annonce de cette prochaine fête du mariage ?

Alors, Guillaume osa, dans un effort dont sa voix tremblait.

— Ma chère Marie, pardonnez-moi de vous poser une question… Il est temps encore de me rendre votre parole. Êtes-vous absolument certaine de m’aimer ?

Elle le regarda avec une réelle stupeur, sans comprendre où il voulait en venir. Puis, comme elle semblait attendre pour répondre :

— Descendez dans votre cœur, interrogez-le… Est-ce bien votre vieil ami, n’est-ce pas un autre que vous aimez ?

— Moi, moi, Guillaume ! Pourquoi me dites-vous cela ? Qu’ai-je donc fait qui vous autorise à me le dire ?

Et elle était vraiment soulevée de révolte et de franchise, ses beaux yeux sur les siens, tout brûlants de sincérité.

— Il faut pourtant que j’aille jusqu’au bout, reprit-il péniblement, car il s’agit de notre bonheur à tous… Interrogez votre cœur, Marie. Vous aimez mon frère, vous aimez Pierre.

— J’aime Pierre, moi, moi !… Mais oui, je l’aime, je l’aime comme je vous aime tous, je l’aime parce qu’il est devenu nôtre, parce qu’il fait partie maintenant de notre vie et de notre joie !… Quand il est là, je suis heureuse, certes, et je désirerais qu’il y fût toujours. Cela me ravit de le voir, de l’entendre, de sortir avec lui. Dernièrement, j’ai été très chagrine qu’il parût repris de ses humeurs