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ouvrier pauvre, mourant de faim, était allé jeter au seuil de la demeure d’un riche, dont le nom signifiait pour lui l’injuste partage, tant de jouissances d’un côté, tant de privations de l’autre ? En nos temps troublés, au milieu des brûlants problèmes remis en question, si l’un de nous perd la tête, veut hâter violemment le bonheur, faut-il donc que nous le supprimions au nom de la justice, alors qu’aucun de nous ne pourrait jurer qu’il n’a pas contribué à sa démence ? Longuement, il revint sur le moment historique où se produisait l’affaire, parmi tant de scandales, tant d’écroulements, lorsqu’un monde nouveau naissait si douloureusement de l’ancien, dans une crise terrible de souffrance et de lutte. Et il termina, il supplia les jurés de se montrer humains, de ne pas céder aux passions terrifiées du dehors, de pacifier les classes par un verdict de sagesse, au lieu d’éterniser la guerre, en donnant aux meurt-de-faim un nouveau martyr à venger.

Il était six heures passées, lorsque M. de Larombardière lut au jury les nombreuses questions qui lui étaient posées, de sa petite voix aigre et si drôle. Puis, la Cour se retira, le jury impénétrable remonta dans la salle de ses délibérations, tandis qu’on emmenait l’accusé. Et il n’y eut plus, parmi l’auditoire, qu’une attente tumultueuse, un brouhaha de fébrile impatience. Des dames encore s’étaient évanouies. On avait dû emporter un monsieur, succombant à l’atroce chaleur. Les autres s’entêtaient, pas un ne quitta la place.

— Oh ! ça ne va pas être long, dit Massot. Les jurés ont tous apporté la condamnation, dans leur poche. Je les regardais, pendant que ce petit avocat leur disait des choses très bien. On les voyait à peine, et ils avaient, noyées d’ombre, de bonnes têtes somnolentes. Ça devait être intéressant, ce qui se passait au fond de ces crânes là !