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procéder à l’audition des témoins. Ce fut un défilé interminable, d’un intérêt médiocre, aucun n’ayant de révélations à faire. On remarqua la déposition sage de l’usinier Grandidier, qui avait dû congédier Salvat, à la suite de certains faits de propagande anarchiste. Un beau-frère de l’accusé, le mécanicien Toussaint, apparut aussi comme un très brave homme, par la façon dont il présenta les choses du côté favorable, sans mentir. Mais la longue discussion fut surtout entre les experts, qui ne parvinrent pas plus à s’entendre, devant le public, qu’ils ne s’étaient entendus dans leurs rapports ; car, si pour eux tous la poudre employée ne paraissait pas être de la dynamite, ils avançaient chacun, sur sa réelle nature, les suppositions les plus extraordinaires et les plus contradictoires. Une consultation de l’illustre savant Bertheroy fut lue ensuite, qui remettait les choses au point, en concluant qu’on devait se trouver devant un explosif nouveau, d’une puissance prodigieuse, dont lui-même ignorait la formule. L’agent Mondésir et le commissaire Dupot vinrent à leur tour raconter la chasse à l’homme, puis l’arrestation si mouvementée, au Bois de Boulogne. Mondésir fut la gaieté de l’audience par les saillies militaires dont il sema son récit. De même que la grand’mère du petit trottin en fut la douleur, le frisson de révolte et de pitié : une pauvre petite vieille, desséchée, cassée, que l’accusation avait eu la cruauté de traîner là, et qui se mit à fondre en larmes, ahurie, sans comprendre ce qu’on lui demandait. Et il n’y eut plus que les témoins à décharge, un défilé ininterrompu de chefs d’atelier, de camarades, de compagnons, qui vinrent tous déclarer que Salvat était un brave homme, un travailleur intelligent et courageux, ne buvant jamais, adorant sa fille, incapable d’une indélicatesse et d’une méchanceté.

Il était déjà quatre heures, lorsque l’audition des témoins fut achevée. Dans la salle brûlante, une lassitude