Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/433

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

longtemps été sa compagne de chaque heure, ne lui était pas même venue. Le débat de la croyance et du doute, la détresse du néant, la colère contre la souffrance injuste, elle avait tout écarté de ses mains fraîches, si bien portante elle-même, si joyeuse de vivre, qu’elle lui avait rendu le goût de la vie. Et c’était simplement cela, elle refaisait de lui l’homme, le travailleur, l’amant et le père.

Brusquement, il se rappela l’abbé Rose, la conversation douloureuse qu’il avait eue un matin avec ce saint homme. Ce cœur ingénu, ignorant des choses de l’amour, était pourtant le voyant qui seul avait compris. Il le lui disait bien, qu’il était changé, qu’il y avait en lui un autre homme. Et lui qui s’obstinait sottement à jurer qu’il était le même, lorsque Marie l’avait transformé déjà, remettant dans sa poitrine la nature entière, et les campagnes ensoleillées, et les vents qui fécondent, et le vaste ciel qui mûrit les moissons ! Et voilà donc pourquoi le catholicisme, la religion de la mort, l’avait exaspéré à ce point de lui faire crier que l’Évangile était périmé et que le monde attendait un autre code, une loi de bonheur terrestre, de justice humaine, d’amour vivant et de fécondité !

Mais Guillaume ? Il vit son frère se dresser devant lui, son frère qui l’adorait, qui l’avait introduit dans sa maison de labeur, de paix et de tendresse, pour le guérir. S’il connaissait Marie, c’était que Guillaume l’avait voulu. Et le mot lui revint : « Six semaines encore. » Dans six semaines, son frère devait épouser la jeune fille. Ce fut comme si un couteau lui entrait dans le cœur. Pas une seconde il n’hésita : s’il devait en mourir, il en mourrait, mais personne au monde ne connaîtrait son amour, il se vaincrait, fuirait au loin, s’il se sentait lâche. Son frère qui le voulait ressuscité, qui était l’artisan de cette passion dont il brûlait, qui avait poussé la confiance jusqu’à lui tout donner de son cœur et des siens, non, non ! plutôt