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naissance, le culte qu’ils avaient pour elle. Depuis leur petite enfance, elle leur avait tout donné, et elle leur donnait encore la vie. Marie à son tour s’était jetée dans ses bras, la baisait, pleine de gratitude et d’attendrissement. Et, seule, Mère-Grand ne pleurait pas, les calmait, voulait qu’on n’exagérât rien et qu’on fût toujours raisonnable.

— Voyons, dit Guillaume, qui se remettait, vous me permettrez de vous embrasser comme eux, car je vous dois bien ça… Et Pierre aussi va vous embrasser, parce que vous êtes maintenant aussi bonne pour lui que vous l’avez toujours été pour nous.

À table, lorsqu’on put enfin déjeuner, il revint sur cette peur dont il restait surpris et honteux. Depuis quelque temps, il s’était ainsi découvert des soucis de prudence, lui qui, autrefois, ne songeait jamais à la mort. Deux fois déjà, il avait frémi devant des catastrophes possibles. D’où lui venait donc, sur le tard, ce goût de l’existence ? Pourquoi donc tenait-il maintenant à vivre ? Et il finit par dire gaiement, avec une pointe de tendresse émue :

— Je crois bien, Marie, que c’est votre pensée qui me rend lâche. Si je suis moins brave, c’est que j’ai désormais quelque chose de précieux à risquer. J’ai charge de bonheur… Tout à l’heure, quand j’ai cru que nous allions tous mourir, je vous ai vue, c’est l’effroi de vous perdre qui m’a glacé et paralysé.

Gentiment, Marie s’était elle-même mise à rire. Les allusions à leur prochain mariage étaient rares, mais elle les accueillait toujours d’un air d’affection heureuse.

— Six semaines encore, dit-elle simplement.

Mère-Grand, qui les regardait, tourna les yeux vers Pierre. Il écoutait en souriant, lui aussi.

— C’est vrai, dit-elle, dans six semaines, vous serez