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qu’elle regarda vers le fourneau et sentit l’épouvantable danger.

— Eh bien ! mais, c’est très simple… Il n’y a qu’à fermer le robinet, n’est-ce pas ?

Et, sans hâte, de l’air le plus aisé du monde, elle posa son ouvrage sur la petite table, quitta sa chaise, alla tourner le robinet, d’une main légère, qui ne tremblait même pas.

— Voilà qui est fait… Pourquoi donc, mon ami, ne l’avez-vous pas fait vous-même ?

Il l’avait suivie des yeux, béant, glacé, comme touché par la mort. Et, quand le sang lui revint sous la peau, quand il se retrouva vivant devant l’appareil désormais inoffensif, il eut un profond soupir, frissonnant encore et désespéré.

— Pourquoi je ne l’ai pas fermé ?… Mais parce que j’ai eu peur.

À ce moment, Marie et Pierre rentraient, ravis de leur promenade, causant, riant, rapportant avec eux l’allégresse du clair soleil ; et les trois frères, Thomas, François, Antoine, qui revenaient du jardin, les plaisantaient, voulaient leur faire avouer que Pierre s’était battu avec une vache et qu’il avait pédalé au travers d’un champ d’avoine. La vue du père, bouleversé, les inquiéta brusquement.

— Mes enfants, je viens d’être lâche… Ah c’est curieux, la lâcheté, une sensation que je ne connaissais pas.

Et il conta la crainte de l’accident, sa terreur, et de quelle façon tranquille Mère-Grand les avait tous sauvés d’une mort certaine. Elle eut un petit geste, comme pour dire que tourner un robinet n’était pas si héroïque. Mais des larmes étaient montées aux yeux des trois grands garçons, et ils vinrent l’embrasser l’un après l’autre, avec une ferveur dévote, mettant dans cette caresse la recon-