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— Est-ce malheureux que j’aie eu ce bois à terminer ! Je l’aurais accompagnée si volontiers.

— Bah ! dit le père de sa voix paisible, Pierre est avec elle, Pierre est très prudent.

Pendant un instant encore, Mère-Grand l’examina, puis elle reprit sa couture. Sa royauté sur la maison, qui mettait à ses pieds les jeunes et les vieux, venait de son long dévouement, de son intelligence et de sa bonté à régner. Née protestante, libérée plus tard des croyances religieuses, elle n’appliquait en toutes choses, par-dessus les conventions sociales, que cette idée de justice humaine qu’elle s’était faite, après avoir tant souffert de la longue injustice dont son mari était mort. Elle y apportait une extraordinaire bravoure, ignorant les préjugés, allant jusqu’au bout de son devoir, tel qu’elle le comprenait. Et, comme elle s’était dévouée à son mari, puis à sa fille Marguerite, elle se dévouait au mari de sa fille et à ses petits-fils, à Guillaume et à ses enfants. Maintenant, Pierre lui-même, qu’elle avait étudié d’abord avec inquiétude, était entré dans sa famille, faisait partie du petit coin de bonheur qu’elle gouvernait. Sans doute, elle l’en avait reconnu digne. Elle n’aimait pas à donner les raisons profondes qui la décidaient. Après des journées de silence, elle s’était contentée, un soir, de dire à Guillaume qu’il avait bien fait d’amener son frère.

Vers midi, Guillaume, toujours à sa besogne, s’écria :

— Dites donc, les enfants ne sont pas rentrés, on va les attendre un peu pour se mettre à table… Moi, je voudrais bien finir.

Un quart d’heure encore se passa. Les trois grands garçons quittèrent leur travail, allèrent dans le jardin se laver les mains.

— Marie s’attarde beaucoup, fit remarquer Mère-Grand. Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé !