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Guillaume, à connaître aussi bien que lui les différentes phases de la délicate opération, avec toutes leurs terrifiantes menaces.

Ce matin-là, en le voyant absorbé, elle levait parfois les yeux du linge qu’elle raccommodait, sans lunettes, malgré ses soixante-dix ans. D’un coup d’œil, elle s’assurait qu’il n’oubliait rien, puis se remettait à sa besogne. Dans son éternelle robe noire, avec toutes ses dents encore et ses cheveux qui blanchissaient à peine, elle gardait son fin visage d’autrefois, mais séché et jauni, devenu d’une sévérité douce. D’ordinaire, elle parlait peu, ne discutant jamais, agissant et dirigeant, n’ouvrant les lèvres que pour donner des conseils de raison, de force, de vaillance. On ne savait tout ce qu’elle pensait et tout ce qu’elle voulait que par ses réponses, des paroles brèves, où éclatait son âme de justice et d’héroïsme.

Depuis quelque temps surtout, elle semblait se faire plus silencieuse, s’activant dans la maison dont elle était l’absolue maîtresse, suivant de ses beaux yeux pensifs son petit peuple, les trois fils, Guillaume, Marie, Pierre, qui tous lui obéissaient comme à leur reine acceptée, indiscutée. Avait-elle donc prévu des changements, vu des faits, que personne autour d’elle ne prévoyait ni ne voyait ? Elle était devenue plus grave encore, comme dans l’attente d’une heure prochaine où l’on aurait besoin de sa sagesse et de son autorité.

— Faites attention, Guillaume, vous êtes distrait, ce matin, finit-elle par dire. Est-ce que vous avez quelque ennui, quelque peine ?

Il la regarda d’un air souriant.

— Aucune peine je vous assure… Je songeais à notre bonne Marie, qui était si heureuse d’aller en forêt, par ce beau soleil.

Antoine avait levé la tête, tandis que ses deux frères restaient plongés dans leur besogne.