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perbe avenue qui débouche devant le Château. Cela les ravissait de rouler de nouveau côte à côte, comme deux oiseaux accouplés, planant d’un vol égal. Les grelots tintaient, les chaînes avaient leur petit bruissement léger. Et, dans le vent frais de la course, ils reprenaient leur conversation, très à l’aise, très intimes, comme isolés du monde, emportés très loin et très haut.

Puis, dans le train qui les ramenait de Saint-Germain à Paris, Pierre s’aperçut que les joues de Marie s’empourpraient d’une brusque rougeur. Deux dames occupaient avec eux le compartiment.

— Tiens ! c’est vous maintenant qui avez chaud.

Elle protesta, et, comme si une pudeur la bouleversait, sa face entière s’enflamma de plus en plus.

— Je n’ai pas chaud, touchez mes mains… Est-ce ridicule de rougir ainsi, sans cause aucune ?

Il comprit, c’était une de ces floraisons involontaires de son cœur de vierge, montant à ses joues, et dont elle était si contrariée. Sans cause, elle le disait. Il battait à son insu même, ce cœur, qui, là-bas, dans la solitude de la forêt, dormait innocent.

À Montmartre, après le départ des enfants, comme il les nommait, Guillaume s’était mis à fabriquer de cette poudre mystérieuse, dont il cachait les cartouches, en haut, dans la chambre de Mère-Grand. La fabrication en était très dangereuse, le moindre oubli pendant les manipulations, un robinet fermé trop tard, pouvait déterminer une explosion formidable, qui aurait emporté la maison et ses habitants. Aussi préférait-il attendre qu’il fût seul, sans danger pour autrui, sans crainte d’être distrait lui-même. Pourtant, ce matin-là, ses trois fils travaillaient dans le vaste atelier. Et Mère-Grand, comme de coutume, cousait tranquillement près du fourneau. Mais elle, très brave, ne comptait pas, car elle ne quittait guère sa place, vivant à l’aise dans le péril ; et elle en était arrivée à aider