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— Moi, je n’ai pas froid, déclara Pierre qui s’était assis à ses pieds, en s’épongeant le front.

Elle s’égaya, lui dit qu’elle ne lui avait jamais vu tant de couleurs. Enfin, il avait du sang sous la peau, ça se voyait. Et ils se mirent à causer comme deux enfants, comme deux camarades, s’amusant de gamineries, trouvant très gaies les choses les plus puériles du monde. Elle s’inquiétait de sa santé, voulait qu’il ne restât pas à l’ombre, puisqu’il avait si chaud ; de sorte que, pour la tranquilliser, il dut se déplacer, se mettre le dos au soleil. Puis, ce fut lui qui la sauva d’une araignée, d’une grosse araignée noire, qui s’était pris les pattes parmi ses cheveux follets, sur sa nuque. Toute la femme venait de reparaître en elle, dans un cri aigu de terreur. Était-ce bête, d’avoir ainsi peur des araignées ! Elle avait beau vouloir se maîtriser, elle en restait pâle et tremblante. Un silence s’était fait, ils se regardaient l’un l’autre avec un sourire ; et ils s’aimaient bien au milieu de ce bois si tendre, d’une amitié émue que tous les deux croyaient fraternelle, elle heureuse de s’être intéressée à lui, lui reconnaissant de la guérison, de la santé qu’elle lui apportait. Mais leurs yeux ne se baissaient pas, leurs mains n’eurent pas même un frôlement en fouillant les herbes, car ils étaient inconscients et purs, comme les grands chênes qui les entouraient. Quand elle l’eut empêché de tuer l’araignée, la destruction lui faisant horreur, elle se remit à causer raisonnablement de toutes choses, en fille qui savait et que la vie n’embarrassait point, tellement elle était sûre de ne jamais faire que ce qu’elle avait résolu de faire.

— Dites donc, finit-elle par crier, on nous attend pour déjeuner, chez nous.

Ils se levèrent, regagnèrent la route, en poussant les bicyclettes. Et ils repartirent d’un bon train, passèrent devant les Loges, arrivèrent à Saint-Germain par la su-