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leur allure, ils durent pédaler sérieusement dans la côte, parmi les graviers épars. La route était moins bonne, sablonneuse, ravinée par les dernières grandes pluies. Mais l’effort n’était-il pas un plaisir ?

— Vous vous y ferez, c’est amusant de vaincre l’obstacle… Moi, je déteste les routes trop longtemps plates et belles. Une petite montée qui se présente, lorsqu’elle ne vous casse pas trop les jambes, c’est l’imprévu, c’est l’autre chose qui vous fouette et vous réveille… Et puis, c’est si bon d’être fort, d’aller malgré la pluie, le vent et les côtes !

Elle le ravissait par sa belle humeur et sa vaillance.

— Alors, demanda-t-il en riant, nous voilà partis pour notre tour de France ?

— Non, non ! nous sommes arrivés. Hein ? ça ne vous déplaira pas de vous reposer un peu… Mais dites-moi si ça ne valait pas la peine de venir jusqu’ici, pour s’asseoir un instant, dans un joli coin de tranquillité et de fraîcheur ?

Légèrement, elle sauta de machine, puis s’engagea dans un sentier, où elle fit une cinquantaine de pas, en lui criant de la suivre. Les deux bicyclettes appuyées contre des troncs d’arbre, ils se trouvèrent au milieu d’une étroite clairière. C’était en effet le nid de feuilles le plus exquis qu’on pût rêver. La forêt est là d’une beauté, d’une grandeur solitaire et souveraine. Et le printemps lui donnait l’éternelle jeunesse, les feuillages étaient d’une légèreté candide, toute une fine dentelle verte, que le soleil poudrait d’or. Un souffle de vie montait des herbes, venait des futaies lointaines, embaumé des odeurs puissantes de la terre.

— On n’a pas encore trop chaud heureusement, dit-elle en s’asseyant au pied d’un jeune chêne, auquel elle s’adossa. La vérité est qu’en juillet les dames sont un peu rouges et que la poudre de riz s’en va… On ne peut pas toujours être belle.