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— Je prends la tête, n’est-ce pas ? cria gaiement Marie, puisque les voitures vous inquiètent encore.

Elle filait devant lui, mince et droite sur la selle, et elle se retournait parfois avec un bon sourire, pour voir s’il la suivait. À chaque voiture dépassée, elle le rassurait en disant les mérites de leurs machines, qui toutes deux sortaient de l’usine Grandidier. C’étaient des Lisettes, le modèle populaire auquel Thomas lui-même avait travaillé, perfectionnant la construction, et que les magasins du Bon Marché vendaient couramment cent cinquante francs. Peut-être avaient-elles l’aspect un peu lourd, mais elles étaient d’une solidité et d’une résistance parfaites. De vraies machines pour faire de la route, disait-elle.

— Ah ! voici la forêt. C’est fini de monter, et vous allez voir les belles avenues. On y roule comme sur du velours.

Pierre était venu se mettre près d’elle, tous deux filaient côte à côte, du même vol régulier, par la voie large et droite, entre le double rideau majestueux des grands arbres. Et ils causaient très amicalement.

— Me voici d’aplomb maintenant, vous verrez que votre élève finira par vous faire honneur.

— Je n’en doute pas. Vous vous tenez très bien, vous allez me lâcher dans quelque temps, car une femme ne vaut jamais un homme, à ce jeu-là… Mais quelle bonne éducation tout de même que la bicyclette pour une femme !

— Comment cela ?

— Oh ! j’ai là-dessus mes idées… Si, un jour, j’ai une fille, je la mettrai dès dix ans sur une bicyclette, pour lui apprendre à se conduire dans la vie.

— Une éducation par l’expérience.

— Eh ! sans doute… Voyez ces grandes filles que les mères élèvent dans leurs jupons. On leur fait peur de tout, on leur défend toute initiative, on n’exerce ni leur