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tour à tour collectiviste, individualiste, anarchiste, pessimiste, symboliste, même sodomiste, sans cesser d’être catholique, par suprême bon ton. Au fond, il était simplement vide et un peu sot. En quatre générations, le sang vigoureux et affamé des Duvillard, après les trois belles bêtes de proie qu’il avait produites, tombait tout d’un coup, comme épuisé par l’assouvissement, à cet androgyne avorté, incapable même des grands attentats et des grandes débauches.

Camille, qui était trop intelligente pour ne pas sentir ce néant chez son frère, le plaisantait ; et elle reprit, en le regardant, pincé dans la longue redingote à plis, une résurrection romantique qu’il exagérait :

— Maman te demande, Hyacinthe… Viens donc lui montrer ta jupe. C’est toi qui serais joli en fille.

Mais il s’esquiva, sans répondre. Il avait une peur sourde de sa sœur, son aînée, bien qu’ils vécussent dans une intimité de confidences perverses, se disant tout, essayant en vain de s’étonner l’un l’autre. Et il donna un regard de dédain à la corbeille merveilleuse d’orchidées, de mode usée, devenue bourgeoise. Il avait traversé les lis, il en était à la renoncule, la fleur de sang.

Les deux derniers convives attendus arrivèrent presque ensemble. Ce fut d’abord le juge d’instruction Amadieu, un intime de la maison, un petit homme de quarante-cinq ans, qu’une récente affaire anarchiste venait de mettre en évidence. Il avait une face plate et régulière de magistrat, à gros favoris blonds, qu’il tâchait de rendre aiguë, en se servant d’un monocle, derrière lequel son œil pétillait. D’ailleurs, très mondain, il était de la nouvelle école, psychologue distingué, auteur d’un livre en réponse aux abus de la physiologie criminaliste, d’une ambition tenace, amoureux de publicité, guettant toujours l’occasion des affaires retentissantes qui donnent la gloire. Enfin, parut le général de Bozonnet, l’oncle maternel de Gérard, un