Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.

à ses bras, il entrait certainement la pensée de se laisser épouser par la fille, ce qui était en somme une fin très douce, bien qu’il ne l’avouât pas encore, honteux, gêné par son nom illustre, par toutes les complications, toutes les larmes qu’il prévoyait.

Le silence continua. Camille, de son regard aigu, meurtrier comme un couteau, avait dit à sa mère qu’elle savait ; puis, elle s’était plainte à Gérard, d’un autre regard douloureux. Et celui-ci, pour rétablir l’équilibre entre les deux femmes, ne trouva qu’un compliment.

— Bonjour, Camille… Ah ! cette robe havane ! C’est étonnant comme les couleurs un peu sombres vous habillent !

Camille jeta un coup d’œil sur la robe blanche de sa mère, puis regarda sa robe foncée, qui laissait voir à peine son cou et ses poignets.

— Oui, répondit-elle en riant, je ne suis passable que lorsque je ne m’habille pas en jeune fille.

Ève, mal à l’aise, soucieuse de sentir grandir une rivalité, à laquelle elle ne voulait pas croire encore, changea la conversation.

— Est-ce que ton frère n’est pas là ?

— Mais si, nous sommes descendus ensemble.

Hyacinthe, qui entrait, serra la main de Gérard, d’un air de lassitude. Il avait vingt ans, il tenait de sa mère ses pâles cheveux blonds, sa face allongée d’orientale langueur, et de son père, ses yeux gris, sa bouche épaisse d’appétits sans scrupules. Écolier exécrable, il avait décidé de ne rien faire, dans un mépris égal de toutes les professions ; et, gâté par son père, il s’intéressait à la poésie et à la musique, il vivait au milieu d’un monde extraordinaire d’artistes, de filles, de fous et de bandits, fanfaron lui-même de vices et de crimes, affectant l’horreur de la femme, professant les pires idées philosophiques et sociales, allant toujours aux plus extrêmes,