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vers Antoine, qui était resté assis devant le bois qu’il gravait, un portrait de Lise lisant, toujours abandonné et repris toujours, dans son désir d’y mettre le réveil de l’enfant à l’intelligence, à la vie.

— Toi, tu fais de la gravure… Depuis que j’ai renoncé aux vers, à un poème sur La fin de la Femme, tellement les mots me semblaient grossiers, encombrants, salissants, des pavés pour des maçons, j’ai eu l’idée de me mettre aussi au dessin, à la gravure peut-être… Mais où est-il le dessin qui dira le mystère, l’au-delà, le seul monde qui existe et qui importe, n’est-ce pas ? Avec quel crayon l’obtenir, sur quelle planche le rendre ? Il faudrait quelque chose d’impalpable, qui n’existât pas, qui suggérât seulement l’essence des choses et des êtres.

— Pourtant, ce n’est que par la matérialité de ses moyens, dit un peu brutalement Antoine, que l’art peut rendre ce que tu appelles l’essence des choses et des êtres, et ce qui n’est en somme que leur signification totale, celle du moins que nous leur prêtons… Rendre la vie, ah ! là est ma grande passion, et il n’y a pas d’autre mystère que celui de la vie, au fond des êtres, derrière les choses… Quand ma planche vit, je suis content, j’ai créé.

Une moue d’Hyacinthe dit son dégoût de la fécondité. La belle affaire ! Le premier goujat venu faisait un enfant. Ce qui devenait exquis et rare, c’était l’idée insexuée existant par elle-même. Il voulut expliquer cela, s’embrouilla, se rejeta dans la certitude, rapportée de Norvège, que l’art et la littérature étaient finis en France, tués par la bassesse et par l’abus même de la production.

— C’est évident, conclut gaiement François, ne rien faire c’est avoir déjà du talent.

Pierre et Marie regardaient, écoutaient, restaient gênés de l’étrangeté de cette invasion, dans l’atelier si grave et si calme d’habitude. La petite princesse fut pourtant très