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nager, jusqu’aux gros meubles, mais ils avaient dû vivre là deux jours et deux nuits, buvant les vins de la cave, festoyant avec des provisions apportées du dehors, souillant les pièces, laissant des traces ignobles de leur passage. Et Rosemonde, quand elle était rentrée là-dedans, plus émerveillée que fâchée de l’aventure, s’était tout de suite souvenue de la soirée passée au Cabinet des Horreurs avec Bergaz et ses deux tendresses, Rossi et Sanfaute, qui avaient su d’elle-même son départ pour la Norvège. Ceux-ci, en effet, venaient d’être arrêtés ; mais Bergaz était en fuite. Elle ne s’étonnait pas trop, avertie déjà, n’ignorant pas que, parmi le monde très mêlé qu’elle recevait, en passionnée d’étrangetés internationales, se trouvaient de terribles messieurs. Janzen lui avait confié certaines histoires malpropres qu’on attribuait à Bergaz et à sa bande. Cette fois, il n’hésitait pas, il racontait tout haut que Bergaz, après Raphanel, s’était vendu à la police, et que le coup partait de celle-ci, désireuse de salir à jamais l’anarchie, par ce vol retentissant, accompli au milieu de telles ordures. Et la preuve n’en était-elle pas dans ce fait que la police l’avait laissé fuir ?

— J’ai cru, dit Guillaume, que les journaux exagéraient… En ce moment, pour aggraver le cas de ce malheureux Salvat, ils inventent tant d’abominations !

— Oh ! non, reprit gaiement Rosemonde, ils n’ont pu tout dire, c’était trop sale… J’en ai été quitte pour descendre à l’hôtel. J’y suis beaucoup mieux, ça commençait à m’ennuyer d’être chez moi… N’importe, l’anarchie n’est guère propre, je n’ose plus dire que j’en suis.

Elle riait, et elle sauta brusquement à un autre caprice, elle voulut que le maître lui parlât de ses derniers travaux, sans doute pour prouver qu’elle était capable de le comprendre. Mais l’histoire de Bergaz l’avait rendu soucieux, il se renferma dans des généralités, en ne se montrant plus que d’une politesse assez froide.