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pourquoi je n’ai guère que Toussaint, mon frère, à qui je puisse m’adresser. Madame Toussaint n’est pas méchante, mais elle n’est pourtant plus la même, depuis qu’elle passe sa vie à craindre que son mari n’ait une seconde attaque. La première a emporté leurs économies, que deviendrait-elle, s’il lui restait sur les bras, paralysé ? Avec ça, elle est menacée d’une autre charge, car vous devez savoir que son fils Charles a eu la sottise de faire un enfant à la bonne d’un marchand de vin, qui, naturellement, s’est envolée, en lui laissant le gamin… Ça se comprend qu’ils soient gênés eux-mêmes. Je ne leur en veux pas. Ils m’ont déjà prêté des pièces de dix sous, ils ne peuvent pas m’en prêter toujours.

Molle, résignée, elle continuait, ne se plaignait que pour Céline, car c’était à fendre le cœur, une petite fille si futée, qui faisait tant de progrès à l’école communale et qui se trouvait réduite à battre le pavé comme une pauvresse. D’ailleurs, elle sentait bien qu’on s’écartait d’elles deux, maintenant, à cause de Salvat. Les Toussaint ne voulaient pas se compromettre dans une pareille histoire, et Charles seul avait dit qu’il comprenait qu’on perdît la tête, un beau jour, jusqu’à faire sauter les bourgeois, tant ils se conduisaient d’une façon dégoûtante.

— Moi, je ne dis rien, monsieur, parce que je ne suis qu’une pauvre femme. Et, tout de même, si vous voulez savoir ce que je pense, je pense que Salvat aurait mieux fait de ne pas faire ce qu’il a fait, parce que c’est nous deux, la petite et moi, qui en sommes les vraies punies… Voyez-vous, ça n’entre pas dans ma cervelle, la petite d’un condamné à mort…

Mais, de nouveau, Céline l’interrompit, en se jetant à son cou.

— Oh ! maman, oh ! maman, ne dis pas ça, je t’en prie ! Ça ne peut pas être vrai, ça me fait trop de peine.

Pierre et Marie avaient échangé un regard d’infinie