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par le travail, par le bon fonctionnement de la vie elle-même, il faudra bien que la justice règne… Hein ? c’est moi qui prêche. Ah ! que j’en ai peu le goût ! Ce serait si ridicule que je voulusse vous guérir, avec mes phrases de grande fille savante ! Mais c’est vrai, cependant, que je songe à vous tirer de votre maladie noire, et pour cela je ne vous demande que de venir vivre le plus possible chez nous. Vous n’ignorez pas que c’est le cher désir de Guillaume. Nous vous aimerons tous si fort, vous nous verrez tous si tendrement unis, si joyeux à la commune besogne, que vous rentrerez dans la vérité, en vous remettant avec nous à l’école de la bonne nature… Vivez, travaillez, aimez, espérez !

Pierre souriait et revenait maintenant presque tous les jours. Elle était si affectueuse, lorsqu’elle le sermonnait gentiment ainsi, de son air de sagesse ! Et, comme elle le disait, il faisait si tendre dans le vaste atelier, cela sentait si bon la joie d’être ensemble, de se donner ensemble à la même œuvre de santé et de vérité ! Honteux de ne rien faire, ayant le besoin d’occuper ses doigts et sa pensée, il s’était d’abord intéressé aux bois que gravait Antoine. Pourquoi n’aurait-il pas essayé, lui aussi ? Mais il s’inquiéta, ne se sentit pas le don, la volonté de l’art ; et, comme l’amas de livres, le travail purement intellectuel de François le rebutaient, au sortir du gouffre d’erreurs où la discussion des textes l’avait noyé, il se trouva porté vers le travail manuel de Thomas, se passionnant pour la mécanique, dont la précision et la netteté satisfaisaient sa soif ardente de certitude. Il se mit aux ordres du jeune homme, tira le soufflet de la forge, lui tint sur l’enclume la pièce à forger. Et, parfois, il servait lui aussi de préparateur à son frère, il passait un grand tablier bleu sur sa soutane, pour l’aider dans ses expériences. Alors, il fit partie de l’atelier, il n’y eut là qu’un travailleur de plus.