Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/384

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tirait que des réponses évasives, elle sentit là une douleur saignante, honteuse d’elle-même, que le secret où elle s’aggravait rendait inguérissable. Sa pitié de femme s’éveilla, elle se prit d’une affection croissante pour ce grand garçon pâle, aux yeux brûlants de fièvre, que rongeait une torture intérieure dont il ne voulait parler à personne. Sans doute elle questionna Guillaume sur son frère si triste, si désespéré ; et il dut lui confier une partie du secret, pour qu’elle l’aidât à le tirer de son tourment, en lui rendant le goût de vivre. Il était si heureux qu’elle le traitât en ami, en frère ! Enfin, ce fut Pierre lui-même qui, un soir, comme elle le pressait affectueusement de se confesser à elle, en lui voyant des larmes dans les yeux, devant un morne crépuscule tombant sur Paris, avoua tout d’un coup sa torture, dit quel vide mortel la perte de la foi avait à jamais creusé en lui. Ah ! ne plus croire, ne plus aimer, n’être que cendre, ne pas savoir par quelle autre certitude remplacer Dieu absent ! Elle le regardait, stupéfaite, béante. Mais il était fou ! Et elle le lui dit, dans l’étonnement et la révolte où la jetait un pareil cri de misère. Désespérer, ne plus croire, ne plus aimer, parce que l’hypothèse du divin croule, et cela lorsque le vaste monde est là, la vie avec son devoir d’être vécue, toutes les créatures et toutes les choses à être aimées et secourues, sans compter l’universelle besogne, la tâche que chacun vient remplir ! Il était fou sûrement, et d’une folie noire, dont elle jura de le guérir.

Dès lors, cet extraordinaire garçon, qui d’abord l’avait gênée, puis étonnée, lui causa un grand attendrissement. Elle lui fut très douce, très gaie, le soignant avec des délicatesses adroites d’esprit et de cœur. Ils avaient eu tous les deux une enfance commune, car leurs mères, également pieuses, les avaient élevés dans une religion étroite. Mais ensuite, quels sorts différents, quelles aven-