Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En effet, un quart d’heure plus tard, elle descendit d’elle-même, très rouge, mais reconnaissant bravement son tort.

— Hein ? suis-je ridicule, suis-je mauvaise, moi qui accuse les autres d’être méchants !… Monsieur l’abbé va avoir une belle idée de moi !

Elle alla embrasser Mère-Grand.

— Vous me pardonnez, n’est-ce pas ?… Oh ! François peut rire à présent, et Thomas, et Antoine aussi. Ils ont bien raison, ça ne mérite que ça.

— Ma pauvre Marie ! dit tendrement Guillaume, voilà ce que c’est que d’être dans l’absolu… Vous qui êtes en tout si équilibrée, si saine et si sage, parce que vous acceptez le relatif des choses et que vous demandez à la vie uniquement ce qu’elle peut donner, vous perdez toute sagesse et tout équilibre, lorsque vous tombez à cet absolu que vous vous faites de l’idée de justice… Qui de nous ne pèche de la sorte ?

Marie, confuse encore, plaisanta.

— Cela fait au moins que je ne suis pas parfaite.

— Ah ! certes, tant mieux ! et je ne vous en aime que davantage.

C’est ce que Pierre aurait crié volontiers, lui aussi. Cette scène l’avait profondément remué, sans qu’il pût dégager encore tout ce qu’elle éveillait en lui. Son abominable tourment ne venait-il pas de l’absolu où il voulait vivre, cet absolu qu’il avait jusqu’ici demandé aux êtres et aux choses ? Il avait cherché la foi totale, il s’était jeté par désespérance dans la négation totale. Et cette hautaine attitude qu’il avait gardée dans l’écroulement de tout, cette réputation de saint prêtre qu’il s’était faite, lorsque le néant seul l’habitait, n’était-ce pas encore un désir mauvais de l’absolu, la simple pose romantique de son aveuglement et de son orgueil ? Pendant que son frère tout à l’heure parlait, louant Marie de ne demander à la vie que