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Hors d’elle, exaspérée encore par le sourire de Pierre, qui lui donnait tort, Marie s’emporta.

— Guillaume, vous êtes méchant… Je ne veux pas qu’on rie.

— Mais tu deviens folle, ma chère, s’écria François, pendant que Thomas et Antoine s’égayaient eux aussi. Père et nous ne soutenons là qu’une thèse d’humanité, car nous croyons aimer et respecter la justice autant que toi.

— Il n’y a pas d’humanité, il n’y a que la justice. Ce qui est juste est juste, malgré tout, lors même que le monde devrait crouler.

Puis, comme Guillaume tentait de plaider encore et de la convaincre, elle se leva tout d’un coup, tremblante, éperdue, soulevée par un tel emportement, qu’elle en bégayait.

— Non, non ! vous êtes tous des méchants, vous voulez tous me faire de la peine… J’aime mieux monter dans ma chambre.

En vain, Mère-Grand tâcha de la retenir.

— Mon enfant, mon enfant ! réfléchis, c’est très vilain, tu en auras un gros regret.

— Non, non ! vous n’êtes pas justes, je souffre trop.

Et, violente, elle monta dans sa chambre. Ce fut un désastre, une consternation. De telles scènes se produisaient parfois, mais rarement avec une pareille gravité. Tout de suite, Guillaume se donna tort de l’avoir poussée ainsi, surtout en la plaisantant, car elle ne pouvait tolérer l’ironie. Et il renseigna Pierre, lui raconta que, lorsqu’elle était plus jeune, elle avait eu des crises de colère affreuses, à tomber morte, devant une injustice. Comme elle l’expliquait ensuite, c’était en elle un irrésistible flot qui l’emportait, la faisait délirer. Aujourd’hui encore, elle restait, sur de tels sujets, obstinée et querelleuse. Et elle en rougissait, elle parfaitement que cela, trop souvent, la rendait insupportable, insociable.