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marchent à souhait, qu’il n’y ait que joie, que vérité et que justice… Ainsi, tu ne saurais croire combien l’aventure de ce misérable Salvat me gonfle de colère et de révolte. Coupable, oh ! oui ! mais que d’excuses pourtant ! et comme on va me le rendre sympathique, si on le charge des crimes de tous, si les bandes politiques se le rejettent, l’utilisent, se servent de lui pour la conquête du pouvoir ! Cela m’exaspère, et je ne promets pas d’être plus raisonnable que toi… Mais, voyons, frère, simplement pour me faire plaisir, promets-moi qu’après-demain tu viendras passer la journée avec nous.

Et, comme Pierre encore gardait le silence :

— Je le veux, j’aurais trop de chagrin à penser que tu te martyrises, dans ton trou de bête blessée… Je veux te guérir, je veux te sauver.

Des larmes étaient remontées dans les yeux de Pierre, et il dit avec une infinie détresse :

— Ne me force pas à te promettre… J’essaierai de me vaincre.

Quelle semaine il passa dans la petite maison noire et vide ! Pendant sept jours, il s’y ensevelit, rongeant son désespoir de ne plus trouver sans cesse, à son côté, ce grand frère qu’il s’était remis à adorer de toute son âme. Jamais il n’avait senti si affreuse sa solitude, depuis que le doute vidait son cœur. Vingt fois, il fut sur le point de courir à Montmartre, où il sentait confusément qu’étaient l’affection, la vérité, la vie. Mais, chaque fois, un invincible malaise, le malaise éprouvé déjà, fait de peur et de honte, le retint. Lui prêtre, lui châtré, lui rejeté hors de l’amour et des besognes communes, ne trouverait-il pas là que blessures et que souffrances, parmi ces êtres de nature, de liberté et de santé ? Et il évoquait les ombres de son père et de sa mère, errantes par les chambres désertes, ces tristes ombres en lutte toujours, même après la mort, qu’il croyait entendre se lamenter,