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jeune fille, une marche à la femme future, à la société future, que vous appelez cependant de tous vos vœux, n’est-ce pas ? les enfants.

— Mais sans doute ! cria François, mais nous sommes d’accord là-dessus !

Elle eut un joli geste et reprit tranquillement :

— Je plaisante… Vous savez que je suis une simple, moi, et que je n’en demande pas tant que vous. Ah ! les revendications, les droits de la femme ! C’est bien clair, elle les a tous, elle est l’égale de l’homme, autant que la nature y consent. Et l’unique affaire, la difficulté éternelle est de s’entendre et de s’aimer… Ça ne m’empêche pas d’être très contente de savoir ce que je sais, oh ! sans pédanterie aucune, seulement parce que je m’imagine que cela m’a fait bien portante, d’aplomb dans la vie, au moral comme au physique.

Quand on éveillait ainsi ses souvenirs du lycée Fénelon, elle s’y plaisait, les évoquait avec une flamme, où se retrouvaient son ardeur à l’étude, sa turbulence aux récréations, des parties folles avec ses compagnes, les cheveux au vent. Sur les cinq lycées de filles ouverts à Paris, c’était le seul qui fût très fréquenté ; et encore n’y avait-il guère là, affrontant les préjugés et les préventions, que des filles de fonctionnaires, surtout des filles de professeurs, se destinant elles-mêmes au professorat. Celles-ci, en quittant le lycée, devaient ensuite aller conquérir leur diplôme définitif à l’École normale de Sèvres. Elle, malgré des études très brillantes, ne s’était senti aucun goût pour ce métier d’institutrice ; et, plus tard, à la mort de son père, ruiné, endetté, lorsqu’elle avait pu craindre un instant de se trouver sans ressources sur le pavé de Paris, c’était Guillaume, en la prenant chez lui, qui n’avait pas voulu la laisser courir le cachet. Elle brodait avec un art merveilleux, elle s’obstinait à gagner quelque argent, pour n’en recevoir de personne.