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qui l’avait torturé d’angoisse, après l’attentat, lorsqu’il l’avait crue en péril d’être sue et divulguée. En haut, dans sa chambre, elle lui rendit des comptes, lui montra, près de son lit, intacte la cachette où étaient les cartouches de la poudre nouvelle et les plans du formidable engin destructeur. Il les y retrouvait tels qu’il les y avait laissés, il eût fallu pour les y toucher qu’on la tuât ou que la maison sautât avec elle. Très simplement, de son air de tranquille héroïsme, elle le remit en possession du terrible dépôt, en lui rendant la clé qu’il lui avait envoyée par Pierre, le lendemain de sa blessure.

— Vous n’étiez pas inquiet, je pense ?

Il lui serra les deux mains, avec tendresse et respect.

— Inquiet seulement que la police ne vînt et ne vous brutalisât… Vous êtes la gardienne, ce serait vous qui achèveriez mon œuvre, si je disparaissais.

Pendant ce temps, en bas, Pierre, toujours assis près du vitrage, sentait sa gêne croître. Certes, il n’y avait, dans la maison, qu’une sympathie affectueuse à son égard. Pourquoi donc lui semblait-il que les choses et les êtres eux-mêmes lui restaient hostiles, malgré leur bon vouloir de fraternité ? Et il se demandait ce qu’il allait devenir là, parmi ces travailleurs, tous soutenus par une foi, lui qui ne croyait plus à rien, qui ne faisait rien. La vue des trois frères, si ardents, si gais à la besogne, finissait par l’emplir d’une sorte d’irritation mauvaise. Mais l’arrivée de Marie l’acheva.

Elle entra sans le voir, et si joyeuse, et si débordante de vie, avec son panier de provisions au bras. On eût dit que la printanière matinée de soleil entrait avec elle, dans l’éclat de sa jeunesse, la taille souple, la poitrine large. Toute sa face rose, son nez fin, son grand front d’intelligence, son épaisse bouche de bonté, rayonnaient sous les lourds bandeaux de ses cheveux noirs. Et ses