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dissements, lorsque Vignon regagna sa place. Mais la Chambre s’était ressaisie, la situation apparaissait si nette, le vote, si certain, que Mège, dont l’intention était de parler encore, eut la sagesse de se résigner au silence. Et l’on remarqua l’attitude tranquille de Monferrand, qui n’avait cessé d’écouter Vignon avec complaisance, comme s’il rendait hommage au talent d’un adversaire ; tandis que Barroux, depuis le froid de glace où venait de tomber son discours, était resté à son banc, immobile, d’une pâleur de mort, comme foudroyé, écrasé sous l’écroulement du vieux monde.

— Allons, ça y est ! reprit Massot, fichu, le ministère !… Vous savez, ce petit Vignon, il ira loin. On dit qu’il rêve l’Élysée. En tout cas, le voilà désigné pour être le chef du prochain cabinet.

Puis, au milieu du brouhaha des scrutins qui s’ouvraient, comme il voulait s’en aller, le général le retint.

— Attendez donc, monsieur Massot… Quel dégoût, que cette cuisine parlementaire ! Vous devriez le dire dans un article, montrer comment le pays est peu à peu affaibli, gâté jusqu’aux moelles, par des journées pareilles d’inutiles et sales discussions. Une bataille, où cinquante mille hommes resteraient par terre, nous épuiserait moins, nous laisserait au cœur plus de vie, que dix ans d’abominable parlementarisme… Venez donc me voir, un matin. Je vous soumettrai un projet de loi militaire, la nécessité d’en revenir à notre armée professionnelle et restreinte d’autrefois, si l’on ne veut pas que notre armée nationale, si embourgeoisée et d’une masse si illusoire, ne soit le poids mort qui coulera la nation.

Depuis l’ouverture de la séance, Pierre n’avait pas prononcé une parole. Il écoutait avec soin, d’abord dans l’intérêt immédiat de son frère, puis gagné peu à peu lui-même par la fièvre qui s’emparait de la salle. Une conviction se faisait en lui que Guillaume ne craignait