Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/35

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tous les goûts. Mais elle, superbement, s’affichait, exigeait le rôle, certaine de vaincre.

— C’est le ministre qui n’a pas voulu, expliqua Dutheil.

Le baron étranglait.

— Le ministre, le ministre ! ah ! ce que je vais le faire sauter, ce ministre-là !

Il dut se taire, la baronne Duvillard entrait dans le petit salon. À quarante-six ans, elle était fort belle encore. Très blonde, grande, un peu engraissée seulement, des épaules et des bras restés admirables, toute une peau de soie sans une tare, elle n’avait que le visage qui s’abîmât, une flétrissure légère, des rougeurs envahissantes ; et c’était là son tourment, sa préoccupation de toutes les heures. Son origine juive se trahissait dans la face un peu longue, au charme étrange, aux yeux bleus d’une douceur voluptueuse. Indolente comme une esclave d’Orient, détestant se mouvoir, marcher, même parler, elle semblait faite pour le harem, en continuels soins de sa personne. Ce jour-là, elle était tout en blanc, une toilette de soie blanche, d’une délicieuse et éclatante simplicité.

L’air ravi, Dutheil la complimenta, lui baisa la main.

— Ah ! madame, vous me remettez un peu de printemps dans l’âme. Paris est si noir, si boueux, ce matin !

Mais un second convive arrivait, un grand et bel homme de trente-cinq à trente-six ans, et le baron, que sa passion agitait, en profita pour s’échapper. Il emmena Dutheil dans son cabinet, qui était voisin, en disant :

— Venez donc, mon cher. J’ai encore un mot à vous dire sur l’affaire en question… Monsieur de Quinsac va tenir un instant compagnie à ma femme.

Et, dès qu’elle fut seule avec le nouveau venu, qui lui avait, lui aussi, baisé la main très respectueusement, elle le regarda en silence, longuement, tandis que ses beaux yeux tendres s’emplissaient de larmes. Dans le grand si-