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bagarre ? On annonçait que Mège allait être d’une violence extrême. Barroux répondrait, et ses amis disaient sa colère, sa volonté de faire la clarté complète, décisive. Sans doute Monferrand prendrait ensuite la parole. Quant à Vignon, malgré son allégresse contenue, il affectait de se tenir à l’écart ; et on l’avait vu aller de l’un à l’autre de ses partisans, pour leur conseiller le calme, le coup d’œil clair et froid qui décide du triomphe, dans les batailles. Jamais cuve de sorcière, débordante de plus de drogues et de plus abominables choses sans nom, n’avait bouilli sur un pareil feu d’enfer.

— Du diable si l’on sait ce qui va sortir de tout ça ! conclut Massot. Ah ! la sale cuisine ! Vous allez voir.

Mais le général de Bozonnet s’attendait aux pires catastrophes. Encore si l’on avait eu une armée, on aurait pu balayer, un beau matin, cette poignée de parlementaires vendus, qui mangeaient et pourrissaient le pays. La fin de tout, pour lui, était que la nation en armes n’était pas une armée. Et il enfourcha le sujet favori de ses amères doléances, depuis qu’on l’avait mis à la retraite, en homme d’un autre régime que le présent bouleversait.

— Puisque vous cherchez un sujet d’article, dit-il à Massot, le voilà, votre sujet !… La France, qui a plus d’un million de soldats, n’a pas une armée. Je vous donnerai des notes, vous direz enfin la vérité.

Tout de suite, il s’empara du journaliste, il le catéchisa. La guerre devait être une affaire de caste, des chefs de droit divin conduisant aux combats des mercenaires, des gens payés ou choisis. La démocratiser, c’était la tuer ; et il la regrettait, en héros qui la considérait comme la seule noble occupation. Du moment que tout le monde se trouvait forcé de se battre, personne ne voulait plus se battre. Voilà pourquoi le service obligatoire, la nation en armes, amènerait certainement la fin de la guerre, dans un temps plus ou moins long. Si, depuis 1870, on ne