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tait, dans l’article, un commencement d’abandon, le brusque froid qui précède les ruptures. Pierre dit que cet article l’avait beaucoup surpris, car il croyait la fortune de Fonsègue liée à celle de Barroux, par une entière communauté de vues et par des liens très anciens d’amitié.

Massot riait toujours.

— Sans doute, sans doute, le cœur du patron a dû saigner. L’article a été très remarqué et il va faire un mal considérable au ministère. Mais, que voulez-vous ? le patron sait mieux que personne la ligne de conduite à tenir pour sauver la situation du journal et la sienne.

Alors, il dit l’émotion, la confusion extraordinaire qui régnaient parmi les députés, dans les couloirs, où il était allé faire un tour, avant de monter s’assurer une place. La Chambre, qui ne s’était pas réunie depuis deux jours, rentrait sur cet énorme scandale, pareil aux incendies près de s’éteindre, se rallumant et dévorant tout. Les chiffres de la liste de Sanier circulaient : deux cent mille à Barroux, quatre-vingt mille à Monferrand, cinquante à Fonsègue, dix à Dutheil, trois à Chaigneux, et tant à celui-ci, et tant à cet autre, l’interminable délation ; cela, au milieu des histoires les plus extraordinaires, des commérages, des calomnies, un incroyable mélange de vérités et de mensonges, dans lequel il devenait impossible de se reconnaître. Sous le vent de terreur qui soufflait, parmi les visages blêmes, les lèvres tremblantes, d’autres passaient congestionnés, éclatants de sauvage joie, avec des rires de victoire prochaine. Car, en somme, sous les grandes indignations de commande, les appels à la propreté, à la moralité parlementaire, il n’y avait toujours là qu’une question de personnes, celle de savoir si le ministère serait renversé et quel serait le nouveau cabinet. Barroux semblait bien malade ; mais qui pouvait prévoir la part de l’inattendu, dans une telle