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— Ah ! dit-elle à voix basse, je te jure bien que je n’étais pourtant pas venue pour ça.

Le silence retomba, il voulut le rompre.

— Tu ne prends pas une tasse de thé ? Il est déjà presque froid.

Mais elle ne l’écoutait pas. Et, comme si rien ne s’était passé, comme si l’inévitable explication commençait seulement, elle parla, l’air brisé, avec une infinie douceur de désolation.

— Voyons, mon Gérard, tu ne peux pas épouser ma fille. D’abord, ce serait une chose très vilaine, presque un inceste. Et puis, il y a ton nom, ta situation… Pardonne-moi d’être si franche, mais enfin tout le monde dirait que tu te vends, ce serait un scandale pour les tiens et pour nous.

Elle lui avait pris les mains, sans colère désormais, telle qu’une mère qui cherche de bonnes raisons pour empêcher son grand fils de commettre quelque exécrable faute. Et lui, la tête basse, évitant de la regarder, écoutait.

— Songe un peu à l’opinion, mon Gérard. Va, je ne m’illusionne pas, je sais qu’entre ton monde et le nôtre il y a un abîme. Nous avons beau être riches, l’argent élargit le fossé. Et j’ai eu beau me convertir, ma fille reste la fille de la Juive… Ah ! mon Gérard, je suis si fière de toi, cela me serait un tel crève-cœur de te voir diminué et comme sali par ce mariage d’argent, avec une enfant infirme qui n’est pas digne de toi, que tu ne peux aimer !

Il leva les yeux, la regarda, mal à l’aise, suppliant, voulant échapper à cette conversation si pénible.

— Mais puisque je t’ai juré que je n’aimais que toi, puisque je t’ai juré que je ne l’épouserais jamais ! C’est fini, ne nous torturons pas davantage.

Leurs regards restèrent un instant l’un dans l’autre,