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humidité fade, une odeur moisie de pièce sans air, longtemps close. Des lambeaux du papier de tenture s’étaient décollés, pendaient, lamentables. Des mouches mortes semaient le parquet, et le garçon, pour ouvrir les persiennes, dut se battre avec la crémone. Cependant, lorsqu’il eut allumé la petite cheminée à gaz, installée là pour ces sortes d’occasions, flambant et chauffant vite, la pièce s’égaya un peu, devint plus hospitalière.

Ève s’était assise sur une chaise, sans même relever l’épaisse voilette qui lui cachait le visage. Toute vêtue de noir, comme si elle eût porté déjà le deuil de son dernier amour, gantée de noir, elle ne montrait d’elle que ses cheveux blonds encore admirables un casque d’or fauve, débordant de son petit chapeau noir. Et, grande et forte, la taille restée mince, la poitrine superbe, rien d’elle n’avouait la cinquantaine menaçante. Elle avait commandé deux tasses de thé, le garçon la retrouva voilée toujours, à la même place, sans un geste, lorsqu’il apporta le thé, avec une assiette de petits gâteaux secs qui devaient dater de l’autre saison. Puis, de nouveau, elle demeura seule, immobile, en une sorte de rêverie accablée. Si elle avait devancé le rendez-vous d’une demi-heure, voulant être là la première, c’était dans le désir de se calmer, pour ne point céder au coup de son désespoir. Surtout elle ne voulait point pleurer, car elle se jurait d’être digne, de causer posément, de s’expliquer en femme qui avait certainement des droits, mais qui tenait à n’invoquer que la raison. Et elle était contente de son courage, elle se croyait très calme, résignée presque, tandis que, seule encore, elle arrangeait la façon dont elle allait accueillir Gérard, pour le dissuader d’un mariage qu’elle regardait comme un malheur et comme une faute.

Elle tressaillit, se mit à trembler. Gérard entrait.

— Comment ! chère amie, vous êtes la première ? Moi