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Et il s’assit sur le fauteuil que Barroux venait de quitter, tandis que le ministre reprenait sa place, en face de lui. Tous deux étaient faits pour s’entendre, et ils eurent les mêmes gestes désespérés, les mêmes plaintes furieuses, en déclarant que le gouvernement, pas plus que les affaires, n’étaient désormais possibles, si l’on exigeait des hommes la vertu qu’ils n’avaient pas. Est-ce que, dans tous les temps, sous tous les régimes, lorsqu’on attendait un vote des Chambres, à propos de quelque grande entreprise, la tactique naturelle, légitime, n’était pas de faire le nécessaire pour l’obtenir ? Il fallait bien se ménager des influences, se gagner des sympathies, s’assurer des voix enfin ! Or, tout se payait, les hommes comme le reste, les uns avec de bonnes paroles, les autres avec des faveurs ou de l’argent, des cadeaux plus ou moins déguisés. Et, en admettant qu’on fût allé un peu loin dans les achats, que certains maquignonnages eussent manqué de prudence, est-ce que c’était sage de faire un tel bruit, est-ce qu’un pouvoir fort n’aurait pas commencé par étouffer le scandale, par patriotisme, par simple propreté même ?

— Mais évidemment ! mais vous avez mille fois raison ! criait Monferrand. Ah ! si j’étais le maître, vous verriez le bel enterrement de première classe !

Puis, comme Duvillard le regardait fixement, frappé par ce dernier mot, il reprit, avec son sourire :

— Par malheur, je ne suis pas le maître, et c’est pour causer un peu avec vous de la situation que je me suis permis de vous déranger… Barroux, qui sort d’ici, m’a paru dans une disposition d’esprit fâcheuse.

— Oui, je viens de le rencontrer, il a des idées si singulières parfois…

Et le baron s’interrompit, pour dire :

— Vous savez que Fonsègue est là, dans l’antichambre. Puisqu’il veut faire sa paix, envoyez-le donc chercher. Il