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nistères sont tombés ou se sont remis debout pour moins que ça… Si vous tombez demain, je souhaite que vous ne le regrettiez jamais.

Et il le regarda s’éloigner, blessé au cœur de son air de plaisanterie, exaspéré par l’idée que quelque chose lui était décidément impossible. Certes, ce n’était pas dans l’espoir de se remettre avec Silviane, mais il se jurait de tout bouleverser, s’il le fallait, pour lui envoyer son traité signé, par simple vengeance, comme un soufflet, oui ! un soufflet. Cette minute venait d’être décisive.

À cet instant, Duvillard, dont les yeux accompagnaient Barroux, fut surpris de voir Fonsègue, qui arrivait, manœuvrer de façon à n’être pas aperçu par le ministre. Il y réussit, il entra dans l’antichambre, les yeux troubles, toute sa petite personne, si vive et si spirituelle d’habitude, éperdue. C’était le vent de terreur qui continuait à souffler et qui l’apportait.

— Vous n’avez donc pas vu votre ami Barroux ? demanda le baron, intrigué.

— Barroux ? non !

Et ce tranquille mensonge suffisait à tout confesser. Il se tutoyait avec Barroux, il le soutenait dans son journal depuis dix ans, de mêmes idées, de même religion politique que lui. Mais, sous la menace de la débâcle, il devait sentir, avec son flair merveilleux, qu’il lui fallait changer d’amitié, s’il ne voulait, lui aussi, rester sous les décombres. Il n’avait pas mis de longues années de prudence, de diplomatique vertu, à fonder le plus digne et le plus respecté des journaux, pour le laisser ainsi compromettre par la maladresse d’un honnête homme.

— Je vous croyais fâché avec Monferrand, reprit Duvillard. Que venez-vous donc faire ici ?

— Oh ! mon cher baron, le directeur d’un grand journal n’est fâché avec personne. Il est au service du pays.