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ment la déplorable aventure de la veille n’aurait pas eu lieu, car il commençait à se reconnaître coupable, jamais Silviane ne l’aurait lâché salement, s’il avait contenté son caprice.

— Vous savez, je vous en veux », dit-il en interrompant le ministre.

Étonné, l’autre à son tour le regarda.

— Comment, vous m’en voulez ! De quoi donc ?

— Mais de ce que vous ne m’avez pas aidé, vous savez bien, pour cette amie à moi, qui désire débuter dans Polyeucte.

Barroux sourit, condescendant, aimable.

— Ah ! oui, Silviane d’Aulnay ! Mais, mon cher ami, c’est Taboureau qui s’est mis en travers. Il a les Beaux-Arts, la question ne regardait que lui. Et je n’y pouvais rien, ce parfait honnête homme, qui nous est tombé d’une Faculté de province, est plein de scrupules… Moi, je suis un vieux Parisien, je comprends tout, j’aurais été enchanté de vous être agréable.

Devant cette résistance nouvelle à son plaisir, Duvillard se reprit de passion, eut le besoin immédiat d’obtenir ce qu’on lui refusait.

— Taboureau, Taboureau, un joli poids mort dont vous vous êtes encombré là ! Honnête, est-ce que tout le monde ne l’est pas ?… Voyons, mon cher ministre, il en est temps encore, faites nommer Silviane, ça vous portera bonheur pour demain.

Cette fois, Barroux éclata franchement de rire.

— Non, non ! je ne puis lâcher Taboureau en ce moment… On s’en amuserait trop. Un ministère perdu ou sauvé, sur la question Silviane !

Il avait tendu la main, pour prendre congé. Le baron la serra, le retint un instant encore, en lui disant, très grave, un peu pâle :

— Vous avez tort de rire, mon cher ministre. Des mi-