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— Ah ! monsieur le baron, ma vie sera trop courte pour acquitter une telle dette de reconnaissance.

Comme Duvillard se retournait, il eut la surprise d’apercevoir, dans un coin de l’antichambre, l’abbé Froment qui attendait. Celui-là, pourtant, n’était pas de la charrette des suspects, bien que, lui aussi, parût cacher une anxiété profonde, en affectant de lire un journal. Le baron s’avança, serra la main du prêtre, causa cordialement. Et Pierre lui conta qu’il avait reçu une lettre, le priant de se présenter chez le ministre : il ignorait pourquoi, il se disait très surpris, souriant, ne voulant pas montrer son inquiétude. Depuis un quart d’heure, il attendait. Pourvu qu’on ne l’oubliât pas, dans cette antichambre !

L’huissier parut, s’empressa.

— Monsieur le ministre vous attend, monsieur le baron. Il est en ce moment avec monsieur le président du Conseil ; mais, dès que monsieur le président s’en ira, j’ai ordre de vous introduire, monsieur le baron.

Presque aussitôt, Barroux sortit ; et, comme Duvillard allait entrer, il le reconnut, le retint. Amèrement, il parla de l’affaire, en homme indigné, sous le coup de la calomnie. Est-ce que lui, Duvillard, n’en témoignerait pas à l’occasion, que lui, Barroux, n’avait jamais touché directement un centime ? Il oubliait qu’il parlait à un banquier, qu’il était lui-même ministre des Finances, pour dire tout son dégoût de l’argent. Ah ! les affaires, quelle eau trouble, empoisonnée et salissante ! Mais il répétait qu’il souffletterait les insulteurs, et que la vérité suffirait.

Duvillard l’écoutait, le regardait. Et la pensée de Silviane, tout d’un coup, rentrait en lui, le hantait, sans qu’il fit même un effort pour la chasser. Il songeait que, si Barroux l’avait bien voulu, lorsqu’il l’avait prié d’agir, Silviane serait maintenant à la Comédie, et que certaine-