Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/305

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

graves préoccupations. Elle venait de rentrer, elle comprenait qu’elle était allée trop loin, et voulait son pardon. Puis, lorsqu’il entendit que c’était Monferrand qui le demandait au ministère, il eut le léger frisson d’un homme sauvé encore du gouffre qu’il côtoie. Vivement, il demanda son chapeau, sa canne, désireux de marcher, de réfléchir au grand air. Et de nouveau, il fut tout aux complications de l’affaire scandaleuse qui allait émotionner le parlement et Paris entier. Se tuer, ah ! non, c’était sot et lâche. La terreur pouvait souffler, il se sentait d’âme ferme, de volonté supérieure aux événements, résolu à se défendre en maître qui entend ne rien lâcher de sa puissance.

Cette terreur, dès que Duvillard entra dans les antichambres du ministère, il la sentit qui soufflait en tempête. La Voix du Peuple, avec sa terrible liste, avait glacé les cœurs des coupables, et tous pâlissaient, tous accouraient, éperdus, en sentant le sol qui croulait sous eux. Le premier qu’il aperçut fut Dutheil, fiévreux, mâchant ses fines moustaches, la face tirée par un tic, dans son effort de sourire quand même. Il le gronda d’être là, c’était une faute de venir ainsi aux nouvelles, l’air effaré. Et l’autre, ragaillardi déjà par cette rude parole, se défendait, jurait qu’il n’avait pas même lu l’article de Sanier, qu’il était monté simplement pour recommander au ministre une dame de ses amies. Le baron se chargea de son affaire, le renvoya, en lui souhaitant une bonne mi-carême. Mais celui surtout qui lui fit pitié, ce fut Chaigneux, le corps vacillant, comme plié par le poids de sa longue tête chevaline, et si malpropre, si en détresse, qu’on aurait dit un vieux pauvre. Quand il reconnut le banquier, il se précipita, vint le saluer avec un empressement obséquieux.

— Ah ! monsieur le baron, faut-il que les hommes soient méchants ! C’est ma mort, on m’assassine, et que