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gardez-les pour vous, ne les communiquez pas à la presse. Oh ! ça, je vous le recommande bien, que les journaux ne soient pas mis dans l’affaire… Enfin, venez me renseigner, moi, et le secret pour tout le monde, le secret absolu !

Gascogne s’inclina, mais Monferrand le retint, pour lui dire que son ami, M. Lehmann, procureur de la république, recevait quotidiennement des lettres d’anarchistes, qui menaçaient de le faire sauter, lui et sa famille ; si bien que, malgré son courage, il demandait qu’on fît garder sa maison par des agents en bourgeois. Déjà la Sûreté avait organisé une surveillance pareille, pour la maison habitée par le juge d’instruction Amadieu. Et, si celui-ci était un personnage précieux, Parisien aimable, psychologue et criminaliste distingué, écrivain même à ses heures, le procureur de la république Lehmann l’égalait en mérites de toutes sortes, car il était un de ces magistrats politiques, un de ces Juifs de talent avisé, qui très honnêtement font leur chemin, en se mettant toujours du côté du pouvoir.

— Monsieur le ministre, dit à son tour Gascogne, il y a aussi l’affaire Barthès… Nous attendons, faut-il procéder à l’arrestation, dans cette petite maison de Neuilly ?

Un de ces hasards, qui servent parfois les policiers, et qui font croire à leur génie, lui avait révélé le secret refuge de Nicolas Barthès, la petite maison d’un prêtre, l’abbé Pierre Froment. Et, bien que Barthès, depuis que régnait la terreur anarchiste, dans l’affolement de Paris, se trouvât sous le coup d’un mandat d’amener, simplement comme suspect, pouvant avoir eu des rapports avec les révolutionnaires, il n’avait point osé l’arrêter chez ce prêtre, un saint vénéré de tout le quartier, sans avoir un ordre formel. Le ministre, consulté, l’avait approuvé vivement de sa réserve vis-à-vis du clergé, en se chargeant lui-même d’arranger l’affaire.

— Non, monsieur Gascogne, ne bougez pas. Vous savez