Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette grande bête de république, qui rendaient, selon lui, tout gouvernement impossible. Une niaiserie pareille arrêtant un homme de son intelligence et de sa force ! Allez donc gouverner les hommes, si l’on vous ôte des mains l’argent, le bâton souverain ? Et il en riait amèrement tout seul, tellement la conception d’un pays idyllique, où les grandes entreprises se feraient honnêtement, lui paraissait absurde. Ne sachant que résoudre, il songea tout d’un coup que la sagesse était d’avoir un entretien avec le baron Duvillard, qu’il connaissait depuis longtemps, et qu’il regrettait de ne pas avoir vu plus tôt, pour le pousser à négocier l’achat du silence de Sanier. D’abord, il eut l’idée d’écrire au baron un billet de deux lignes, qu’un garçon de service aurait porté. Puis, dans sa méfiance des documents écrits, il préféra employer le téléphone, qu’il avait fait installer, pour son usage, sur une petite table, près de son bureau.

— C’est bien monsieur le baron Duvillard qui me parle ?… Parfait ! Oui, c’est moi, le ministre, monsieur Monferrand, et je vous prie de venir tout de suite me voir… Parfait ! parfait ! je vous attends.

Il se remit à marcher et à chercher. Ce Duvillard était un maître homme, lui aussi, qui lui donnerait sans doute quelque idée. Et il s’enfonçait dans des combinaisons laborieuses, lorsque l’huissier se présenta, en disant que monsieur Gascogne, le chef de la Sûreté, insistait pour parler à monsieur le ministre. Sa première pensée fut qu’on venait de la Préfecture de police, pour avoir son avis sur les mesures d’ordre à prendre, ce jour-là, à l’occasion des deux cortèges, celui des Lavoirs et celui des Étudiants, qui, dès midi, allaient défiler, au milieu de l’écrasement de la foule.

— Faites entrer monsieur Gascogne.

Un homme entra, grand, mince, très brun, ayant l’air d’un ouvrier endimanché. D’aspect froid, connaissant