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D’autre part, lui était parfaitement tranquille, n’ayant rien écrit, rien signé, sachant qu’on se tire de tous les mauvais cas avec de l’audace, en n’avouant jamais. Seulement, quel pavé dans la mare parlementaire ! Tout de suite, il sentit l’inévitable conséquence, le ministère renversé, balayé par ce nouvel ouragan de délations et de commérages. Heureusement, la Chambre, ce jeudi-là, ne siégeait pas. Mais, dès le lendemain, Mège allait reprendre son interpellation, Vignon et ses amis profiteraient de l’occasion pour donner aux portefeuilles convoités un furieux assaut. Et il se voyait par terre, chassé de ce cabinet, où, depuis huit mois, il prenait ses aises, sans gloriole sotte, heureux uniquement d’être à sa place, en homme de gouvernement, qui se croyait de taille à dompter et à conduire les foules.

Il avait rejeté les journaux d’un geste dédaigneux, il s’était levé en s’étirant, avec un grognement de lion qu’on taquine. Et, maintenant, il marchait de long en large, au travers de la vaste pièce d’un luxe officiel et fané, meublée d’acajou, drapée de damas vert. Les mains derrière le dos, il n’avait point son air paterne, sa bonhomie souriante et un peu commune. Tout le rude lutteur qu’il était, dans sa taille courte, ses épaules larges, apparaissait, crevait son masque épais. Sa bouche sensuelle, son nez gros, ses yeux durs, disaient qu’il était sans scrupule, d’une volonté d’acier, taillé pour les rudes besognes. Qu’allait-il faire ? allait-il se laisser entraîner dans le désastre, avec l’honnête et tonitruant Barroux ? Peut-être son cas personnel n’était-il pas désespéré. Mais comment lâcher les autres pour gagner la rive ? comment se repêcher lui-même, tandis que les autres se noieraient ? Grave problème, manœuvre ardue, dont la recherche le bouleversait, dans son furieux besoin de garder le pouvoir.

Il ne trouva rien, il jura contre les accès de vertu de