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rait n’achever jamais, il songeait, comme dernier décor, à un bois de sapins glacés. Et elle s’était levée, elle recommençait gaiement sa plaisanterie, disait qu’elle l’emmenait prendre une tasse de thé chez elle, pour régler leur départ, lorsque Bergaz, qui l’écoutait tout en surveillant la porte du coin de l’œil, eut une involontaire exclamation.

— Mondésir ! j’en étais sûr !

À la porte, venait d’apparaître un petit homme nerveux et râblé, dont la face ronde, au front bossu, au nez camard, avait toute une rudesse militaire. On aurait dit un sous-officier en bourgeois. Il fouillait la salle, semblait effaré et déçu.

Bergaz, qui désirait rattraper son exclamation, reprit avec aisance :

— Je disais bien que ça sentait la police… Tenez ! voici un agent, Mondésir, un gaillard très fort, qui a eu des ennuis au régiment… Le voyez-vous flairer, comme un chien dont le nez est en défaut. Va, va, mon brave, si l’on t’a désigné quelque gibier, tu peux chercher, l’oiseau est parti.

Dehors, lorsque Rosemonde eut décidé Hyacinthe à l’accompagner, ils se hâtèrent de monter en riant dans le coupé qui les attendait, car ils venaient d’apercevoir le landau de Silviane, avec le cocher majestueux, immobile sur le siège, tandis que les trois hommes, Duvillard, Gérard et Dutheil, attendaient toujours, debout au bord du trottoir. Depuis près de vingt minutes, ils étaient là, dans les demi-ténèbres de ce boulevard extérieur, où rôdaient la basse prostitution, les vices immondes des quartiers pauvres. Des ivrognes les avaient bousculés, des ombres de filles les frôlaient, allaient et venaient, chuchotantes, sous les jurons et les coups des souteneurs. Des couples infâmes cherchaient l’obscurité des arbres, s’arrêtaient sur les bancs, gagnaient les coins d’abominable ordure.