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tiquement, la salle trépignait, s’enrouait, se vautrait éperdue dans son ignominie.

— Bravo ! Bravo ! répétait de sa voix aiguë la petite princesse. Étonnant ! étonnant ! prodigieux !

Mais, surtout, Silviane, dont l’ivresse semblait augmenter, depuis qu’elle se passionnait au fond de ce four chauffé à blanc, tapait des mains, criait très haut.

— C’est lui, c’est mon Legras ! Il faut que je l’embrasse, il m’a fait trop de plaisir.

Duvillard, exaspéré à la fin, voulut l’emmener de force. Elle se cramponna au rebord de la loge, elle cria plus haut, sans se fâcher d’ailleurs, toujours très gaie. Et il fallut bien parlementer. Elle consentait à partir, à se laisser ramener chez elle. Mais, auparavant, elle s’était juré d’embrasser Legras, un ancien ami.

— Allez tous les trois m’attendre dans la voiture. Je vous rejoins tout de suite.

Comme la salle finissait par se calmer, Rosemonde s’aperçut que la loge se vidait ; et, sa curiosité satisfaite, elle songea elle-même à se faire reconduire par Hyacinthe. Celui-ci, qui avait écouté languissant, sans applaudir, causait de la Norvège avec Bergaz, lequel prétendait avoir voyagé dans le Nord. Oh ! les fjords, oh ! les lacs glacés, oh ! le froid pur, lilial et chaste de l’éternel hiver ! Ce n’était que là, disait Hyacinthe, qu’il comprenait la femme et l’amour, le baiser de neige.

— Voulez-vous que nous partions demain ? s’écria la princesse, avec sa vivacité effrontée. Nous faisons là-bas notre voyage de noces… Je lâche mon hôtel, je mets la clé sous la porte.

Et elle ajouta qu’elle plaisantait, naturellement. Mais Bergaz la savait capable de cette fugue. À l’idée qu’elle laisserait son petit hôtel fermé, et sans gardien peut-être, il avait échangé un vif regard avec Sanfaute et Rossi, toujours muets et souriants. Quel coup à faire, quelle