Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Oh ! ce pauvre papa, qui est parti à la chasse des sous ! Si l’on courait lui dire qu’il y a de quoi pour aujourd’hui ?

Et le prêtre, déjà dans le couloir, entendit la femme répondre :

— Il est loin, s’il marche toujours. Il reviendra bien peut-être.

Comme Pierre s’échappaient de l’affreuse et douloureuse maison, la tête bourdonnante, le cœur ravagé de tristesse, il eut l’étonnement de revoir Salvat et Victor Mathis, arrêtés et debout, dans un coin de la cour immonde, aux odeurs pestilentielles de cloaque. Ils étaient descendus continuer là l’entretien interrompu dans la chambre. Ils causaient de nouveau bas et très vite, bouche à bouche, tout à la violence dont leurs yeux brûlaient. Mais ils entendirent le bruit des pas, ils reconnurent l’abbé ; et, soudainement froids et calmes, sans ajouter un mot, ils échangèrent une rude poignée de main. Victor remonta vers Montmartre. Salvat hésita, de l’air d’un homme qui consulte le destin. Puis, allant au hasard farouche, redressant sa taille maigre de travailleur las et affamé, il tourna dans la rue Marcadet, marcha vers Paris, son sac à outils sous le bras.

Un instant, Pierre eut l’envie de courir, de lui crier que sa fillette le rappelait, en haut. Mais le même malaise l’avait repris, de la discrétion, de la peur, la sourde certitude que rien n’arrêterait la destinée. Et lui-même n’était plus calme, n’avait plus sa détresse glacée et désespérée du matin. En se retrouvant dans le brouillard frissonnant de la rue, il sentit sa fièvre, la flamme de charité que la vue de l’effroyable misère, toujours renaissante, venait de rallumer en lui. Non, non ! c’était trop de souffrance, il voulait lutter encore, sauver Laveuve, rendre un peu de joie à tant de pauvres gens. L’expérience nouvelle se posait avec ce Paris qu’il avait