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se révélait la plus perverse, la plus monstrueuse des courtisanes. Quand elle était ivre surtout, elle avait, avec ses innocents yeux bleus, sa candeur de lis, des imaginations diaboliques, à damner les hommes.

Aussi Duvillard la laissait-il se griser, l’y aidait même, nourrissant le projet sournois de la reconduire chez elle et de rester, si l’ivresse la lui livrait sans défense. Mais elle souriait, elle devinait.

— Je te vois venir, mon gros. Tu crois que je serai plus gentille, ce soir, parce que je suis en train de rire. Eh bien ! tu te trompes, ma tête reste solide… Tu n’auras rien de moi, pas ça ! tant que tu ne m’auras pas fait débuter à la Comédie !

Duvillard, qu’elle sevrait depuis six semaines, s’efforçait de rire, comptait quand même qu’il la mettrait au lit, s’il attendait patiemment. Et, des deux autres, Gérard, qu’elle regardait avec le plus de tendresse, en souvenir des caprices qu’elle avait eus pour lui déjà, se laissait aller, lui aussi, au désir d’une nuit heureuse, dans le désarroi de sa volonté ; tandis que Dutheil, toujours au guet d’une occasion qui la lui livrerait, s’allumait, en s’imaginant que son tour était enfin venu, à la condition de manœuvrer avec adresse.

Elle, pourtant, à se sentir désirée, à les voir tous les trois autour d’elle, sur elle, tirant la langue, comme elle disait, inventait d’impossibles histoires, leur tenait des discours d’une étonnante fantaisie ordurière. Ils la trouvaient impayable, dans sa resplendissante toilette de vierge reine. Puis, quand elle eut assez de champagne, à demi folle, il lui poussa tout d’un coup une idée.

— Dites donc, mes enfants, on ne va pas rester ici, on s’embête. Il faut faire quelque chose… Vous ne savez pas ? Vous allez me mener au Cabinet des Horreurs, pour finir la soirée. Je veux entendre la Chemise, cette chanson que chante Legras et qui fait courir tout Paris.