Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mort de tout. Et voilà que vous consentez, je le sens !

Elle pleurait toujours, dans le salon noir et muet, devant le feu éteint. Ce mariage de Gérard avec Camille, n’était-ce pas pour elle la fin heureuse, la certitude de laisser son fils riche, aimé, attablé enfin à la vie ? Mais une dernière rébellion la souleva.

— Non, non, je ne consens pas, je vous jure que je ne consens pas encore. Je lutte de toutes mes forces, ah ! dans un combat de chaque heure, dont vous ne pouvez soupçonner la torture.

Puis, sincèrement, elle prévit sa défaite.

— Si je cède un jour, mon ami, croyez bien que je sens autant que vous l’abomination d’un tel mariage. C’est la fin de notre race et de notre honneur.

Ce cri le bouleversa, et il ne put rien ajouter. Dans son intransigeance de catholique et de royaliste hautain, lui aussi n’attendait que l’écroulement suprême. Mais quelle souffrance à se dire que cette noble femme, tant aimée, et si purement, allait être, dans la catastrophe, la plus dolente des victimes ! Caché par l’ombre, il osa s’agenouiller devant elle, lui prendre la main et la baiser.

Comme la servante apportait enfin une lampe allumée, Gérard se présenta. Le vieux salon Louis XVI, aux pâles boiseries, retrouvait, dans la clarté douce, sa grâce surannée ; et le jeune homme affecta une gaieté vive, pour rassurer sa mère et ne point la laisser trop triste, puisqu’il ne pouvait dîner avec elle. Quand il eut expliqué que des amis l’attendaient, elle fut la première à le dégager de sa parole, heureuse de le voir si gai.

— Va, va, mon enfant, et ne te fatigue pas trop… Je vais garder Morigny. Le général et Larombardière doivent venir à neuf heures. Sois tranquille, j’aurai du monde, je ne m’ennuierai pas.

Et ce fut ainsi que Gérard, après s’être assis un instant,