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Elle le supplia de ne pas accroître sa peine.

— Non, non ! ne me prenez pas les mains, ne les baisez pas ! restez dans ces demi-ténèbres, où je ne vous vois plus qu’à peine… Ce sera notre divine force, jusqu’à la tombe, de nous être aimés si longtemps, sans une honte ni un regret… Et, si vous me touchiez, si je vous sentais trop près de moi, je ne pourrais finir, car je n’ai pas fini.

Puis, lorsqu’il fut retombé dans son silence et son immobilité :

— Demain, si je mourais, Gérard ne trouverait pas même ici la petite fortune qu’il croit encore entre mes mains. Souvent, le cher enfant m’a coûté gros, sans qu’il ait jamais paru s’en douter. J’aurais dû certainement me montrer plus sévère, plus prudente. Mais, que voulez-vous ? la ruine est là, j’ai toujours été une mère trop faible… Et comprenez-vous maintenant l’angoisse où je vis, avec cette pensée que, si je meurs, Gérard n’aura pas même de quoi vivre, incapable du miracle que je renouvelle chaque jour, pour soutenir le train illusoire de notre maison ?… Je le connais, si désarmé, si maladif sous sa belle apparence, ne pouvant rien faire, ne sachant même pas se conduire. Que deviendra-t-il ? ne tombera-t-il pas à la pire détresse ?

Alors, ses larmes coulèrent librement, son cœur se déchirait et saignait, dans sa prescience du lendemain de sa mort, ce grand enfant adoré en qui leur race et tout un monde croulaient. Et le marquis immobile, éperdu, sentant bien qu’il n’avait aucun titre pour offrir sa fortune, comprit tout d’un coup, sentit à quelle déchéance nouvelle ce désastre allait aboutir.

— Ah ! ma pauvre amie, finit-il par dire d’une voix qui tremblait de révolte et de douleur, vous en êtes à ce mariage, oui ! cet abominable mariage avec la fille de cette femme. Jamais ! aviez-vous juré. Vous préfériez la