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tentement et qu’il pourra vous rendre tout ce que vous avez fait pour lui.

Et madame Mathis s’en alla, s’effaça discrètement, avec un geste d’infinie tristesse. Elle ignorait tout de son fils, mais elle tremblait devant l’acharnement de l’obscure destinée.

— Je ne pense pas, dit Pierre à l’abbé, quand ils furent seuls, que la pauvre femme doive compter beaucoup sur son fils. Je n’ai vu ce garçon qu’une fois, il a dans ses yeux clairs la sécheresse et le coupant d’un couteau.

— Vous croyez ? se récria le vieux prêtre, avec sa naïveté de brave homme. Il m’a semblé très poli, un peu pressé de jouir peut-être ; mais ils sont tous impatients, dans la jeunesse d’aujourd’hui… Voyons, mettons-nous à table, la soupe va être froide.

Presque à la même heure, à un autre bout de Paris, rue Saint-Dominique, la nuit lente s’était faite aussi dans le salon que la comtesse de Quinsac occupait, au fond du silencieux et morne rez-de-chaussée d’un vieil hôtel. Elle était là, seule avec le marquis de Morigny, l’ami fidèle, tous deux aux deux coins de la cheminée, où la braise d’une dernière bûche achevait de s’éteindre. La servante n’avait pas encore apporté la lampe, et la comtesse oubliait de sonner, trouvait un soulagement à son inquiétude, dans cet envahissement des ténèbres, noyant les choses inavouées qu’elle craignait de laisser voir sur son visage las. Alors seulement elle osa parler, au milieu de ce salon noir, devant le foyer mort, sans que nul bruit lointain de roues troublât le silence du grand passé qui dormait là.

— Oui, mon ami, je ne suis pas contente de la santé de Gérard. Vous allez le voir, car il m’a promis de rentrer de bonne heure et de dîner avec moi. Oh ! je sais qu’il est de fière mine, l’air grand et fort. Mais il faut, pour le bien connaître, l’avoir veillé comme moi, élevé avec tant de