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d’épingles dix francs à une vieille dame, pendant que le jeune homme se contentait de dire, de sa voix désabusée :

— Elle est idiote, avec son Cabinet des Horreurs.

Massot, philosophiquement, haussa les épaules. Il fallait bien qu’une femme s’amusât. Puis, lorsque Hyacinthe se fut éloigné, traînant son mépris pervers, parmi les belles filles qui vendaient les billets de loterie, il se permit de murmurer :

— Ce petit-là, tout de même, aurait grand besoin qu’une femme fit de lui un homme.

Et, s’interrompant, s’adressant de nouveau à Pierre :

— Tiens ! Dutheil !… Que disait donc Sanier, ce matin, que Dutheil coucherait ce soir à Mazas ?

En effet, Dutheil, très pressé, très souriant, fendait la foule, afin de rejoindre Duvillard et Fonsègue, qui causaient toujours, debout près du comptoir de la baronne. Et, tout de suite, il agita la main, en signe de victoire, pour dire qu’il avait réussi dans la délicate mission dont il s’était chargé. Il ne s’agissait de rien moins que d’une manœuvre hardie, destinée à hâter l’entrée de Silviane à la Comédie-Française. Elle avait eu l’idée d’amener le baron à la faire dîner, au Café Anglais, avec un critique influent, qui, disait-elle, forcerait l’administration à lui ouvrir toute grande la porte, dès qu’il la connaîtrait. Et l’invitation n’était pas facile à faire accepter, car le critique passait pour grognon et sévère. Aussi Dutheil, repoussé d’abord, déployait-il depuis trois jours toute sa diplomatie, mettant en jeu les plus lointaines influences. Il rayonnait, il avait vaincu.

— Mon cher baron, c’est pour ce soir, sept heures et demie. Ah ! sapristi, j’ai eu plus de mal que pour enlever le vote d’une émission à lots !

Et il riait, avec sa jolie impudence d’homme de plaisir, que sa conscience d’homme politique gênait si